Alors que nous étions assis sur le banc de pierre, je compris brusquement – et de façon désespérante – qu’il vient un moment où l’on ne peut plus rien « réparer ». On vit, on rapièce, on rafistole, on construit et quelquefois, on gâche son existence ; puis, avec le temps, on s’aperçoit que cette vie, telle qu’elle s’est constituée de hasards et d’erreurs, est parfaitement inaltérable. Lajos n’y pouvait plus rien. Lorsque quelqu’un surgit du passé pour annoncer, avec des trémolos dans la voix, qu’il veut « tout réparer », on ne peut que le plaindre et rire de ses intentions. Le temps avait déjà tout « réparé » à sa façon particulière, qui est la seule possible.
Sándor Márai, L'Héritage d'Esther