Thursday, March 31, 2011

L'ultime

Il me restait une démarche à tenter, que je remettais de jour en jour, non seulement parce que je sentais qu'elle était absolument inutile mais parce qu'elle devait me conduire à l'autre, l'ultime.

Jorge Luis Borges, Le livre de sable

Wednesday, March 30, 2011

Attaqués par le néant

Plus nous sommes attaqués par le néant qui, tel un abîme, de toutes parts menace de nous engloutir, ou bien aussi par ce multiple quelque chose qu'est la société des hommes et son activité, qui, sans forme, sans âme et sans amour, nous persécute et nous distrait, et plus la résistance doit être passionnée, véhémente et farouche de notre part.
N'est-ce pas ?

Hölderlin

Tuesday, March 22, 2011

eukadieuskadieuskadi

Vois les nuées

Vois les nuées comme elles sont au-dessus de toi ! Si tu pèches, quel tort leur causes-tu ? Si tu es juste, que leur apportes-tu ?

Job, 35, 5-8

Saturday, March 19, 2011

Être artiste, c'est ne pas compter

Être artiste, c'est ne pas compter, c'est croître comme l'arbre qui ne presse pas sa sève, qui résiste, confiant, aux grands vents du printemps, sans craindre que l'été puisse ne pas venir. L'été vient. Mais il ne vient que pour ceux qui savent attendre, aussi tranquilles et ouverts que s'ils avaient l'éternité devant eux.

Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète

Thursday, March 17, 2011

L’histoire infinie de la vie

S’il n’était rien, ou presque rien, s’il n’avait pas la moindre idée d’où il venait ni ou il allait, ni pourquoi il vivait, ni ce qu’il était censé faire (le piano n’étant qu’une illusion incertaine), s’il était, de surcroît, ballotté par des forces qu’il ne savait nommer mais qui étaient la solitude, la tristesse, la nostalgie, la colère, la peur, la nausée spirituelle - pourquoi ne prendrait-il pas sa part, intensément, de l’histoire infinie de la vie ? Pourquoi ne paierait-il pas les foutus vingt-cinq cents qui lui permettraient d’entrer dans la cathédrale, et de voir la lumière ?

Frank Conroy, Corps et âme

Tuesday, March 15, 2011

My Cats

I know. I know.
they are limited, have different
needs and
concerns.

but I watch and learn from them.
I like the little they know,
which is so
much.

they complain but never
worry,
they walk with a surprising dignity.
they sleep with a direct simplicity that
humans just can’t
understand.

their eyes are more
beautiful than our eyes.
and they can sleep 20 hours
a day
without
hesitation or
remorse.

when I am feeling
low
all I have to do is
watch my cats
and my
courage
returns.

I study these
creatures.

they are my
teachers.

Charles Bukowski

Le Chat

Wednesday, March 9, 2011

Je pense

Si j'analyse le processus qu'exprime la proposition “je pense”, j'obtiens toute une série d'affirmations téméraires qu'il est difficile, peut-être impossible de fonder ; par exemple que c'est moi qui pense, qu'il faut qu'il y ait un quelque chose qui pense, que la pensée est le résultat de l'activité d'un être conçu comme cause, qu'il y a un “je”, enfin que ce qu'il faut entendre par pensée est une donnée déjà bien établie, — que je sais ce qu'est penser. (...)
En ce qui concerne la superstition du logicien, je ne me lasserai pas de souligner un petit fait bref que ces superstitieux répugnent à avouer, à savoir qu'une pensée vient quand elle veut, et non quand “je” veux ; c'est donc falsifier les faits que de dire : le sujet “je” est la condition du prédicat “pense”. Quelque chose pense, mais que ce quelque chose soit précisément l'antique et fameux “je”, ce n'est à tout le moins qu'une supposition, une allégation, ce n'est surtout pas une “certitude immédiate”. Enfin, c'est déjà trop dire que d'avancer qu'il y a quelque chose qui pense ; déjà ce “quelque chose” comporte une interprétation du processus et ne fait pas partie du processus lui-même. On déduit ici, selon la routine grammaticale : “penser est une action, or toute action suppose un sujet agissant, donc..." (...) peut-être les logiciens eux aussi s'habitueront-ils un jour à se passer de ce petit “quelque chose”, qu'a laissé en s'évaporant le brave vieux “moi”.

Friedrich Nietzsche, Par delà le bien et le mal

Je peux

Il est à présent six heures du soir, ma journée de travail est finie. Je peux maintenant faire une promenade ou bien je peux aller au club je peux aussi monter sur la tour, pour voir le coucher du soleil ; je peux aussi aller au théâtre, je peux faire une visite à tel ami ou à tel autre, je peux même m'échapper par la porte de la ville m'élancer au milieu du vaste univers, et ne jamais revenir. Tout cela ne dépend que de moi, j'ai la pleine liberté d'agir à ma guise et cependant je n'en ferai rien, mais je vais rentrer non moins volontairement au logis, auprès de ma femme.
C'est exactement comme si l'eau disait : « Je peux m'élever bruyamment en hautes vagues (oui certes, lorsque la mer est agitée par une tempête !), je peux descendre d'un cours précipité en emportant tout sur mon passage (oui, dans le lit d'un torrent), je peux tomber en écumant et en bouillonnant (oui, dans une cascade), je peux m'élever dans l'air, libre comme un rayon (oui, dans une fontaine), je peux enfin m'évaporer et disparaître (oui, à 100 degrés de chaleur) et cependant je ne fais rien de tout cela, mais je reste de mon plein gré, tranquille et limpide, dans le miroir du lac. »
Comme l'eau ne peut se transformer ainsi que lorsque des causes déterminantes l'amènent à l'un ou à l'autre de ces états de même l'homme ne peut faire ce qu'il se persuade être en son pouvoir, que lorsque des motifs particuliers l'y déterminent. Jusqu'à ce que les causes interviennent, tout acte lui est impossible, mais une fois qu'elles agissent sur lui, il doit, aussi bien que l'eau, agir comme l'exigent les circonstances correspondant à chaque cas.

Arthur Schopenhauer, Essai sur le libre arbitre

Notre moi

Il y a certains philosophes qui imaginent que nous avons à tout moment la conscience intime de ce que nous appelons notre moi ; que nous sentons son existence et sa continuité d'existence ; et que nous sommes certains, plus que par l'évidence d'une démonstration, de son identité et de sa simplicité parfaites. Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j'appelle moi, je bute toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d'ombre, d'amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais me saisir, moi, en aucun moment sans une perception et je ne peux rien observer que la perception. Quand mes perceptions sont écartées pour un temps, comme par un sommeil tranquille, aussi longtemps, je n'ai plus conscience de moi et on peut dire vraiment que je n'existe pas. Si toutes mes perceptions étaient supprimées par la mort et que je ne puisse ni penser ni sentir, ni voir, ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps, je serais entièrement annihilé et je ne conçois pas ce qu'il faudrait de plus pour faire de moi un parfait néant. Si quelqu'un pense, après une réflexion sérieuse et impartiale, qu'il a, de lui-même, une connaissance différente, il me faut l'avouer, je ne peux raisonner plus longtemps avec lui.

David Hume, Traité de la nature humaine

Un moteur détraqué

Le vacarme commence au moment où l'on se tait et où l'on entend les pensées des autres se déplacer à l'intérieur d'eux comme les pièces d'un moteur détraqué qui essaient de s'ajuster.

Antonio Lobo Antunes, L'ordre naturel des choses

Monday, March 7, 2011

On me parle de mots

On me parle de mots, mais il ne s'agit pas de mots, il s'agit de la durée de l'esprit.
Cette écorce de mots qui tombe, il ne faut pas s'imaginer que l'âme n'y soit pas impliquée. À côté de l'esprit, il y a la vie, il y a l'être humain dans le cercle duquel cet esprit tourne, relié avec lui par une multitude de fils...

Antonin Artaud, Fragments d'un journal d'enfer

Telle est ta destinée

Comme, dans le jour qui t’a donné au monde,
Le soleil était là pour saluer les planètes,
Tu as aussi grandi sans cesse,
D’après la loi selon laquelle tu as commencé.
Telle est ta destinée; tu ne peux t’échapper à toi-même;
Ainsi parlaient déjà les sibylles; ainsi les prophètes;
Aucun temps, aucune puissance ne brise la forme empreinte
Qui se développe dans le cours de la vie.

Goethe, Poésies