Le labyrinthe ( ou la composition des êtres )
Il existe à la base de la vie humaine, un principe d'insuffisance. Isolément, chaque homme imagine les autres incapables ou indignes d'"être". Une conversation libre, médisante, exprime une certitude de la vanité de mes semblables ; un bavardage apparemment mesquin laisse voir une aveugle tension de la vie vers un sommet indéfinissable.
La suffisance de chaque être est contestée sans relâche par ses proches. Même un regard exprimant l'admiration s'attache à moi comme un doute. [Le "génie" abaisse davantage qu'il n'élève ; l'idée du "génie" empêche d'être simple, engage à montrer l'essentiel, à dissimuler ce qui décevrait : il n'est pas de "génie" concevable sans "art". Je voudrais simplifier, braver le sentiment d'insuffisance. Je ne suis pas moi-même suffisant et ne maintiens ma "prétention" qu'à la faveur de l'ombre où je suis. ]
Un éclat de rire, une expression de répugnance accueillent gestes, phrases, manquements où se trahit mon insuffisance profonde.
L'inquiétude des uns et des autres s'accroît et se multiplie dans la mesure où ils aperçoivent, aux détours, la solitude de l'homme dans une nuit vide. Sans la présence humaine, la nuit où tout se trouve - ou plutôt se perd - semblerait existence pour rien, non-sens équivalent à l'absence d'être.
Georges Bataille, L'expérience intérieure, Gallimard, 1954, p. 97
Il existe à la base de la vie humaine, un principe d'insuffisance. Isolément, chaque homme imagine les autres incapables ou indignes d'"être". Une conversation libre, médisante, exprime une certitude de la vanité de mes semblables ; un bavardage apparemment mesquin laisse voir une aveugle tension de la vie vers un sommet indéfinissable.
La suffisance de chaque être est contestée sans relâche par ses proches. Même un regard exprimant l'admiration s'attache à moi comme un doute. [Le "génie" abaisse davantage qu'il n'élève ; l'idée du "génie" empêche d'être simple, engage à montrer l'essentiel, à dissimuler ce qui décevrait : il n'est pas de "génie" concevable sans "art". Je voudrais simplifier, braver le sentiment d'insuffisance. Je ne suis pas moi-même suffisant et ne maintiens ma "prétention" qu'à la faveur de l'ombre où je suis. ]
Un éclat de rire, une expression de répugnance accueillent gestes, phrases, manquements où se trahit mon insuffisance profonde.
L'inquiétude des uns et des autres s'accroît et se multiplie dans la mesure où ils aperçoivent, aux détours, la solitude de l'homme dans une nuit vide. Sans la présence humaine, la nuit où tout se trouve - ou plutôt se perd - semblerait existence pour rien, non-sens équivalent à l'absence d'être.
Georges Bataille, L'expérience intérieure, Gallimard, 1954, p. 97